Science vs croyance

Qu’est ce qui pousse certaines personnes en recherche de savoir, à être d’avantage séduites par des idées toutes faites véhiculées par des maîtres à penser ou des religions, plutôt qu’à se tourner vers le monde scientifique ?

Évidement ce genre de penchant peut être un problème dans une démocratie puisque tout individu doit y jouer un rôle de premier plan et son savoir, sa culture, son libre arbitre sont essentiels.

Selon l’auteur de l’article ci-dessous André Brahic, la réponse ne peut venir que de l’éducation laïque et l’enseignement des sciences (de la vie je présume).

Pour ma part, je suis de plus en plus convaincu que chez certaines personnes, la croyance (le recours à la pensée magique) est un besoin intime lié à une recherche de sécurité affective. Cette croyance est nécessaire, c’est une béquille qui aide à vivre et calme les angoisses. Tenter de supprimer cette croyance, c’est risquer de déséquilibrer encore plus psychiquement la personne. Dans ce cas, il ne peut y avoir de réponse globale pour faire en sorte que ces personnes se tournent vers la science plutôt que vers des croyances. Le changement de ces personnes aura lieu (ou pas…) suite à un long cheminement individuel.

MP

Science et croyance : L’ILLUSION DU VRAI ET LA CERTITUDE DU FAUX – André Brahic *

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Lorsqu’une question soulève des opinions violemment contradictoires, on peut s’assurer qu’elle appartient au domaine de la croyance et non à celui de la connaissance. Voltaire

Des milliers de philosophes, de sociologues, de psychologues et de scientifiques ont écrit des millions de pages depuis des millénaires sur la croyance. Il serait parfaitement ridicule de ma part de prétendre faire preuve d’originalité sur ce sujet. Je me contente ici de citer quelques expériences personnelles, d’évoquer des croyances de nature non religieuse et de souligner que la frontière entre croyance et connaissance est plus perméable qu’on ne pourrait l’imaginer a priori. L’expression orale est si différente de l’écriture que ces quelques notes sont loin de reproduire l’exposé que j’ai présenté au cours de l’après-midi du 4 mai 2013. J’espère que l’auditeur et le lecteur comprendront que les conclusions sont les mêmes.

Le mot croyance fait immédiatement penser à la religion. Pourtant les croyances foisonnent hors du domaine religieux. La connaissance est spontanément liée à la science. Mais on peut acquérir d’excellentes connaissances sans pour autant maîtriser les disciplines scientifiques et leurs techniques. Je ne traiterai pas ici l’opposition entre la religion et la science, largement débattue par ailleurs. Je me contente de citer Sacha Guitry : «Sur l’existence de Dieu, la moindre apparition sera la bienvenue » . La religion repose sur un acte de foi où l’on accepte sans discussion un certain nombre de croyances. La science fondamentale, qui a pour seul but la connaissance, s’appuie sur une longue analyse des faits et sur une discussion critique des interprétations. L’opposition entre science et croyance nous renvoie à l’opposition entre l’intelligence et l’obscurantisme. On peut considérer que le divorce entre la science et la religion a été prononcé en 1633 à l’issue du procès de Galilée. Mais nombre de croyants apprécient les vertus de la science et nombre de scientifiques sont touchés par la croyance. Loin d’une vision manichéenne du monde, je propose de constater que la séparation n’est pas aussi nette : les meilleurs esprits scientifiques ne sont pas à l’abri des virus de la croyance et les dévots les plus convaincus peuvent être effleurés par le doute. Je me contente ici de rassembler brièvement quelques remarques sur le sujet sans développer des questions qui mériteraient de longs débats. J’ai emprunté quelques lignes à l’ouvrage que j’ai publié en 2012 aux éditions Odile Jacob : La Science , une ambition pour la France. Le manque de temps m’a contraint à évoquer trop brièvement certains aspects et à énoncer quelques affirmations sans toutes les nuances qui devraient les accompagner. J’espère que le lecteur me pardonnera ces travers et que tout désaccord de sa part sera le point de départ d’une prochaine discussion fructueuse.

Les croyances

Notre cerveau est le résultat d’une longue évolution qui a permis à notre espèce de survivre.

Ses trois fonctions principales consistent à nous permettre d’échapper à nos prédateurs, de manger à notre faim et de nous reproduire. Pour assurer leur survie, nos ancêtres devaient prendre des décisions rapides et agir de façon pratiquement inconsciente. Ils n’avaient pas le temps de faire une analyse approfondie quand ils entendaient un bruit suspect. Un simple bruit dans le feuillage pouvait aussi bien trahir la présence d’un ennemi qu’être un simple effet du vent. La moindre hésitation pouvait leur coûter la vie. Devant un danger potentiel, il n’est pas question d’écrire les équations du mouvement des herbes. C’est pourquoi notre cerveau est conçu pour réagir sans délai à tout événement extérieur bien avant toute analyse approfondie. Ce qui est un atout pour la survie peut devenir un handicap pour la connaissance. Nos ascendants avaient un certain nombre de croyances qu’ils pouvaient éventuellement modifier en fonction du retour d’information venant de l’environnement. Les hommes modernes ont gardé des empreintes de ces croyances ancestrales. De plus, le fait de croire à l’existence de dieux ou bien à des événements surnaturels apaise l’anxiété de certains. Devant la crainte de la mort, le fait de croire à la vie éternelle, à l’existence d’un paradis ou à la possibilité de revoir des proches décédés peut calmer les angoisses. Face au malheur, la croyance en des phénomènes miraculeux peut apporter un réconfort. Les croyances constituent des mécanismes de défense archaïque face aux peurs ancestrales.

La croyance est le fait d’affirmer l’existence de quelqu’un ou de quelque chose qui n’est ni perceptible à nos cinq sens ni vérifiable par une approche scientifique. Pour Joseph O’Connor, «les croyances sont les choses que l’on tient pour vrai malgré l’évidence du contraire ».

Tout individu qui adhère à une croyance la tient pour vraie sans la moindre remise en cause de sa part. Les religions sont bâties sur un ensemble de croyances. La croyance en une divinité est liée essentiellement à l’angoisse de la mort. La promesse d’une vie meilleure après la mort, la peur d’un dieu gardien de valeurs morales, la paresse intellectuelle, le confort grégaire d’appartenir à une communauté, le pouvoir apaisant par rapport aux angoisses existentielles, l’effet placebo sont autant de raisons qui poussent les hommes à adhérer à un ensemble de croyances. Nombre de neurophysiologistes sont persuadés que les croyances proviennent de la manière dont le cerveau s’est constitué au cours de l’évolution.

Chaque individu possède au fond de lui-même un certain nombre de croyances héritées de son éducation, de son entourage et de son expérience. Sur le plan individuel, cela n’est pas nocif tant qu’il est doué d’un minimum de raison pour rejeter tout comportement abusif. Par contre, des personnes moins éduquées ou plus fragiles peuvent être victimes du prosélytisme et de tous ceux qui exploitent de la crédulité humaine.

On peut même trouver des vertus au phénomène de croyance : il apaise les inquiétudes et il donne du courage face à la mort. Il rend même certains hommes heureux. «Je veux que mon domestique croie en Dieu, comme cela il me volera moins… » disait Voltaire. Sur le plan sociologique et politique, il permet de «tenir le peuple » comme me l’expliquait, il y a une quinzaine d’années, un membre d’une famille royale régnant à l’est de la Méditerranée et prétendant descendre directement du prophète. Au cours des siècles, nombre de pouvoirs régaliens ont soutenu que leur légitimité «venait de la volonté de Dieu » . Cette «utilité » de la croyance a évidemment un revers très négatif allant de l’asservissement à l’abrutissement.

Bien au-delà de la question de la religion, les croyances touchent aux domaines les plus divers. Chacun mériterait de longs développements et plusieurs livres n’épuiseraient pas le sujet.

Des dizaines d’exemples viennent immédiatement à l’esprit : l’astrologie, le mythe des soucoupes volantes, la fusion froide, les fantômes, l’acupuncture, l’homéopathie, les médecines parallèles, le dessein intelligent, les particules plus rapides que la lumière, les avions renifleurs, le monstre du Loch Ness, le révisionnisme, le créationnisme, etc. Nous en évoquons quelques-unes ci-dessous.

Des croyances ont souvent été inculquées aux plus jeunes âges de l’enfance à une époque où le cerveau est en pleine formation. L’enfant devenu adulte a ensuite beaucoup de peine à sortir de ce carcan. Des sectes et des mouvements fondamentalistes l’ont bien

compris en soumettant les enfants qui sont tombés dans leurs griffes à de véritables entreprises de décervelage. C’est pourquoi une éducation laïque et aussi neutre que possible par rapport aux croyances est une nécessité pour toute société ouverte au progrès.

La connaissance

Une des caractéristiques de ceux qui sont habités par des croyances est le fait qu’ils ont le sentiment de détenir LA Vérité et la certitude que ceux qui ne la partagent pas sont dans l’erreur. À l’inverse, la science remet constamment en jeu son contenu et se développe par une approche totalement opposée aux croyances. Aucun scientifique ne peut prétendre détenir la Vérité. Par contre, les scientifiques sont capables de dénoncer ce qui est faux. La science a pour moteur la curiosité. Ses vertus sont liées au progrès et au bonheur de la découverte. À l’inverse du croyant, le scientifique est dans une position plus inconfortable. Il connaît souvent l’inconfort d’avoir une opinion minoritaire.

Alors que la science se garde bien de donner le moindre point de vue sur ce qui est en dehors de son champ d’étude, la croyance s’engouffre dans chaque «trou » des connaissances scientifiques, voyant là la preuve d’une intervention divine. On appelle cela Argumentum ad ignorantiam ou de manière badine «les dieux des trous ». De bons exemples sont donnés par ceux qui prétendent que nous n’aurions pas d’explication terrestre satisfaisante des figures de Nazca, des statues de l’île de Pâques, des terrasses de Baalbek ou des pyramides d’Égypte. Même s’ils n’y sont jamais allé, ils en déduisent que tout ceci a été construit par des extraterrestres. Pour avoir visité ces sites et discuté avec les archéologues qui les étudient, je peux affirmer que ces endroits n’ont rien de surnaturel.

Karl Popper, Claude Bernard et d’autres ont bien montré qu’une proposition n’est scientifique que si elle est falsifiable. Une proposition scientifique n’est pas une affirmation vérifiée avec certitude, mais elle est réfutable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas affirmer qu’elle ne sera jamais réfutée. Par exemple, dire : «Les vaches pensent que les trains ont été créés dans l’Univers pour les divertir » n’est pas scientifique car non réfutable. Par contre, des conjectures telles que «toutes les vaches sont noires » ou «tous les cygnes sont blancs » sont scientifiques, car il suffit de voir une vache marron ou bien un cygne noir pour les invalider. En d’autres termes, toute proposition scientifique peut être invalidée par quiconque à la suite d’une nouvelle observation ou d’un contre-exemple.

Toute conjecture dont on ne peut démontrer ni l’exactitude ni la fausseté n’appartient pas au monde des sciences. À propos de la rigueur des scientifiques, on peut rappeler la blague bien connue d’un ingénieur, d’un physicien et d’un mathématicien voyageant en Hollande et apercevant une vache noire par la fenêtre du train : «Ah ! dit l’ingénieur, je vois que les vaches hollandaises sont noires. » «Hum ! dit le physicien, tu veux dire que certaines vaches hollandaises sont noires. » «Non, dit le mathématicien, tout ce qu’on sait est qu’il y a au moins une vache en Hollande et qu’au moins un des côtés de cette vache est noir. »

La recherche scientifique repose sur deux piliers : celui de l’expérimentation ou de l’observation et celui de l’interprétation ou de l’approche théorique. Observer sans interpréter n’a aucun intérêt, croire en une théorie sans l’avoir testée conduit à des errements. De la même manière que les hommes ont besoin de deux jambes pour marcher, la science avance par ces deux approches et grâce à des allers et retours permanents entre ces deux démarches. Toute théorie, si belle soit-elle, doit être abandonnée si elle est contredite par une seule observation. Toute proposition, même très convaincante, reste à l’état d’hypothèse tant qu’elle n’a pas été confrontée au monde réel et vérifiée par l’expérience. Toute nouvelle théorie englobe les précédentes. Par exemple, la théorie de la relativité d’Einstein ne nous oblige pas à abandonner la gravitation de Newton. Cette dernière est une excellente approximation pour des vitesses et des masses relativement faibles. Pour des valeurs élevées de ces quantités, la relativité générale prend le relais. C’est pourquoi les scientifiques peuvent aisément dénoncer ce qui est faux. Il leur est en revanche plus difficile de prétendre détenir la vérité. Ceux qui connaissent mal la nature de la science peuvent avoir l’illusion de connaître la vérité alors les scientifiques ont simplement l’assurance de mettre en évidence ce qui est faux.

Paul Bert était d’un incroyable optimisme quand il disait «qu’avec la science, il n’y aura plus de superstitions ni de croyances aux miracles, plus de coups d’Etat et de révolutions » . Il serait naïf de croire que la croyance n’appartient qu’au passé et que la science rejettera toute croyance aux oubliettes. Il ne faut pas tomber dans les excès du scientisme et des croyances associées. La science fait reculer le champ d’application des croyances, mais elle ne prétend pas tout expliquer. À toutes les époques, les croyances peuvent se répandre dans un monde rationnel et la volonté de faire preuve de raison peut se développer dans une société en proie à de nombreuses croyances.

J’ai été frappé par l’anecdote que m’a rapportée l’ethnologue Maurice Godelier de retour d’un long séjour dans une société polynésienne isolée du monde moderne. Après le décès d’un villageois, la coutume veut que tout le village se rassemble pour une grande cérémonie au cours de laquelle le corps est porté en terre et déposé dans une tombe laissée ouverte pendant plusieurs jours pour laisser le temps à l’âme de monter au ciel. Une seconde cérémonie accompagnée de musiques et de chants est alors organisée trois jours plus tard pour fermer la tombe. En se rendant sur les lieux, les villageois ont eu la surprise de trouver au pied de la sépulture un jeune adolescent épuisé et mourant de faim et de soif. «Que fais-tu là ? » lui ont-ils demandé ? «J’ai veillé pendant trois jours pour voir l’âme s’échapper et je n’ai rien vu ! » leur répondit-il. Sans jamais avoir reçu la moindre éducation scientifique, ce jeune homme n’acceptait pas sans réfléchir et sans tenter de vérifier ce que prétendaient ses aînés au nom de la tradition. Cette histoire illustre le fait que croyances et approches rationnelles coexistent au même moment dans une société. Certains font spontanément preuve de scepticisme. D’autres sont, par nature, plus crédules.

Croyance et intelligence

Définir l’intelligence n’est pas chose aisée. Elle est liée à la capacité de résoudre des problèmes nouveaux et à la faculté d’adaptation. Dans toutes les langues, le mot intelligence possède une multitude de synonymes, mais aucun d’eux ne lui est équivalent. Tout le monde s’accorde pour estimer que l’intelligence permet de développer la connaissance, d’être apte à un raisonnement rationnel et de faire preuve de multiples qualités telles l’ingéniosité, le discernement, le jugement, la lucidité, la perspicacité, l’entendement, la raison, l’esprit, la connaissance, l’habileté, le savoir, la subtilité, la clairvoyance, la compréhension ou encore la faculté d’abstraction. Malgré la difficulté de définir et de mesurer l’intelligence, les psychologues ont remarqué que les personnes intelligentes sont moins superstitieuses en moyenne.

Les croyances paraissent tellement dénuées de fondements qu’on pourrait penser que l’intelligence nous met à l’abri des préjugés et des croyances. Elle permet évidemment de mieux s’en défendre. Mais ce constat mérite d’être nuancé. Certains font preuve d’une grande intelligence dans un domaine bien précis, mais ils sont beaucoup moins performants dans d’autres domaines. De remarquables esprits peuvent être d’une grande naïveté sur des sujets éloignés de leurs préoccupations quotidiennes.

Croyance et éducation

L’éducation est évidemment essentielle pour lutter contre les croyances. Les personnes les plus éduquées semblent moins vulnérables aux superstitions. Les chercheurs en sciences humaines ont remarqué dans leurs enquêtes que les enseignants spécialistes des domaines scientifiques sont plus sceptiques que les enseignants dans les matières artistiques ou littéraires. Quant aux étudiants, différents sondages ne semblent pas montrer de corrélations entre le niveau des études et le fait d’être superstitieux. En fait, cela pose la question de la nature de l’enseignement. Trop souvent, on pousse les élèves et étudiants à répéter les paroles du maître. On leur apprend ce qu’il faut penser et non comment penser. Érasme avait raison de souligner combien l’éducation est essentielle quand il disait ce qui devrait être la devise de tous les enseignants : «Homo fit, non nascitur »1.

Il est possible d’avoir suivi de longues études et d’avoir réussi avec succès des concours difficiles tout en ignorant la nature d’une démarche scientifique. Pour promouvoir la connaissance et lutter contre le virus de la croyance, il est essentiel d’apprendre aux élèves et aux étudiants comment réfléchir. Il est préférable d’avoir acquis un minimum d’humilité à l’issue de ses études plutôt que d’avoir appris par cœur une foule de notions et de théorèmes mal maîtrisés. En fait, dans la plupart des pays, l’enseignement scientifique est trop souvent négligé. Beaucoup d’étudiants peuvent avoir passé de nombreuses années sur les bancs de l’école et de l’université sans jamais avoir été sensibilisés à la démarche scientifique. Cela serait pourtant un excellent antidote aux croyances.

Croyances et sexe

Une croyance répandue par des esprits misogynes consiste à affirmer que les femmes seraient plus sensibles aux croyances que les hommes. C’est ainsi que les journaux destinés aux femmes publient plus souvent des horoscopes, des recettes miracles de régimes amincissants ou encore des conseils de médecines parallèles que les journaux destinés à un public masculin. En fait, l’éducation et l’environnement social jouent un rôle beaucoup plus grand que le sexe. Aucune étude sérieuse n’a mis en évidence la moindre faiblesse des femmes en ce domaine. Par contre, il semble que les femmes sont plus sensibles à l’astrologie tandis que, parmi les révisionnistes ou les tenants de la théorie du complot, on trouve plus d’hommes que de femmes.

Croyances et rumeurs

À toutes les époques, les rumeurs les plus folles apparaissent de temps en temps. Il suffit qu’une information non vérifiée soit reprise par les uns et les autres et répétée de nombreuses fois pour qu’une partie importante de la population soit convaincue. Certaines de ces rumeurs sont nées de manière inattendue, d’autres correspondent à des manipulations destinées à vendre des journaux ou à discréditer un groupe humain. Elles ont fait fleurir de multiples expressions populaires comme «l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours » ou «radio couloir » ou «le téléphone arabe ». Une rumeur offre souvent une explication simple sinon simpliste et désigne fréquemment un bouc émissaire avec une justification non fondée. Mais elle convainc ceux qui ont envie d’y croire en raison de leurs préjugés. Une rumeur est souvent tenace même si elle est totalement injustifiée. Elle est très difficile à réfuter. La plupart du temps, les démentis ne font que relancer les bruits et renforcer les racontars.

La rumeur dite d’Orléans laissait entendre à la fin des années 60 que les cabines d’essayage de plusieurs magasins de vêtements féminins étaient en fait des endroits où les clientes étaient enlevées et livrées à des réseaux de prostitution. Bien qu’aucune disparition suspecte n’ait été signalée, la rumeur continua à se propager jusqu’à ce que les médias cessent de s’y intéresser. La rumeur de serpents dissimulés dans des régimes de bananes ou de mygales dans des yuccas correspond à la vieille peur irrationnelle de végétaux exotiques dangereux. Ceci n’a bien entendu aucun fondement. Les araignées ne pondent pas dans la végétation et celles qui sortent des œufs sont si petites que personne ne les auraient vues. Cette rumeur a fait baisser de plus de 60 % l’importation des yuccas dans les années 80 jusqu’à ce que la presse démystifie ce bruit. Une autre légende nous raconte que le terme de recherches le plus demandé sur Internet est le mot «sexe ».

Cette rumeur totalement infondée est régulièrement reprise par les médias qui ne se privent pas de colporter ce racontar. À la suite de pluies diluviennes, une rumeur se répandit au printemps 2001 : les Parisiens auraient détourné l’eau qui menaçait Paris dans le canal du Nord et la Somme pour noyer Abbeville afin de protéger Paris. Manifestations, pétitions, couverture par les journaux télévisés et la presse écrite se sont succédé jusqu’à ce que la rumeur disparaisse totalement aussi vite qu’elle était apparue dès que la télévision s’est détournée.

Certaines rumeurs ne naissent pas par hasard, mais sont lancées par des individus mal intentionnés et prompts à provoquer des scandales pour vendre leurs écrits ou discréditer leurs proies.

D’autres, encore plus honteuses, correspondent à des actes racistes ou antisémites, comme la légende du Protocole des Sages de Sion, document rédigé par un faussaire pour faire croire à un complot juif. À l’approche d’élections, un certain nombre de rumeurs sont intentionnellement répandues pour discréditer un concurrent ou promouvoir un slogan.

Croyances et médias

J’ai quelquefois eu la surprise de rencontrer à la fin d’un cours ou d’une conférence des auditeurs qui m’affirmaient une contre-vérité ou qui avaient des doutes à propos d’une nouvelle que je leur avais annoncée. Quand je leur demandais d’où ils tenaient leur information, la réponse était toujours la même : «c’est vrai parce que je l’ai lu dans un livre ». Le fait qu’une information soit imprimée donne, aux yeux de certains, un sentiment de certitude. Moins fréquemment, mais de temps en temps, j’ai entendu : «c’est vrai parce que je l’ai entendu à la télévision ». L’autorité de la chose imprimée ou annoncée à la télévision est une source de croyances.

On pourrait faire la même remarque à propos de la publicité. Malgré l’évidence du contraire, beaucoup de publicitaires martèlent combien le produit qu’ils vantent est extraordinaire et bien meilleur que tout ce que propose la concurrence. Cela est particulièrement frappant quand de la nourriture industrielle d’un goût douteux et néfaste sur la santé est encensée auprès d’enfants qui croient que cet infâme brouet est délicieux. La manière dont les messages publicitaires sont présentés est une source de croyances. J’avais de la sympathie pour les réclames. J’ai de l’antipathie pour la publicité.

Croyances et création

La question de nos origines obsède depuis toujours l’esprit humain. Elle a suscité une foule de récits mythiques racontant l’histoire du monde, des dieux et des tribus. Elle est, de nos jours, au centre de maintes recherches scientifiques. Depuis la plus Haute Antiquité, les hommes ont polémiqué pour savoir si notre monde résultait d’une succession de transformations incessantes ou bien si, un jour, il avait été créé tel quel. Ce débat entre création et éternité a suscité des millions d’ouvrages. «On ne peut pas créer quelque chose à partir de rien » disaient les uns. «L’éternité, c’est très long surtout vers la fin » faisait remarquer Pierre Dac. Y-a-t-il eu un jour un commencement ? Ou bien, sommes-nous en présence d’une succession de transformations sans début ni fin ? Ces questions ont suscité une foule de croyances dans toutes les civilisations. Grâce à une approche scientifique, notre connaissance nous permet de remonter de plus en plus loin dans le passé et chaque nouvelle découverte se heurte à d’anciennes croyances.

En fait, tous les traités relatifs aux origines (de l’homme, de la Terre ou de l’Univers) ne parlent pas du début, mais retracent la fin d’un processus, celui qui a conduit à la formation du sujet étudié. Ceux qui sont persuadés que le monde a été créé par un dieu ne répondent pas à la question.

Ils repoussent le problème. Pour créer un monde complexe, ce dieu devait être fort complexe. Mais comment a-t-il été créé ? Par une entité encore plus complexe ? Cela rappelle l’histoire de l’enfant qui demande à sa maman «Maman, qui a créé le monde ? » . «C’est Dieu, mon petit » lui répond sa maman. «Maman, qui a créé Dieu ? » demande alors l’enfant. Nous n’avons rien gagné !

Croyances et créationnistes

Des fondamentalistes de toutes les religions, interprétant de manière littérale les textes prétendus sacrés, rejettent les découvertes scientifiques en biologie et en astronomie et refusent l’idée d’évolution. Ils prétendent que le monde a été créé tel quel il y a 6 000 ans par un dieu tout puissant. Une telle attitude, qui méconnaît totalement les faits scientifiques, pourrait prêter à sourire tellement elle paraît extravagante à toute personne éduquée. En fait, elle est majoritaire dans le monde protestant de l’Amérique du Nord, dans le monde orthodoxe de l’Europe de l’Est, dans le monde catholique du Brésil et dans le monde musulman du Moyen-Orient.

Ces affirmations parfaitement obscurantistes sont en fait dangereuses car leurs partisans sont très actifs pour demander que ces fadaises soient enseignées aux enfants au même niveau que l’évolution. Derrière la proposition d’enseigner aux enfants que le monde aurait été créé par un dieu, on trouve l’intention d’imposer à la société une morale et des lois issues du fondamentalisme religieux qu’il soit chrétien ou musulman. Dans certains états américains, les scientifiques qui siègent dans les commissions chargées de définir les contenus des enseignements se retrouvent en minorité face à des fondamentalistes qui récusent l’évolution. Dans plusieurs pays du Moyen-Orient, le poids des fondamentalistes est aussi très lourd. Des milliers de pages ont été écrites sur le sujet. Je me contente ici de seulement quelques remarques.

Même si les créationnistes sont hermétiques à tout raisonnement scientifique, il ne faut évidemment jamais se décourager et jamais renoncer à essayer d’expliquer pourquoi ils se trompent. Il ne faut pas manquer une occasion d’enseigner et de montrer les preuves de l’évolution surtout auprès des plus jeunes. Il faut expliquer patiemment quelle est la nature d’une démarche scientifique. Il faut faire comprendre qu’on ne saurait mettre sur le même plan des scientifiques professionnels possédant des dizaines d’années d’expérience et soumis, dans tous leurs actes, aux critiques de leurs pairs avec des «amateurs » n’ayant aucune œuvre personnelle et se contentant de rabâcher des croyances qui ne résistent pas à une analyse objective. Il ne faut pas hésiter à démonter chacun des arguments de ceux qui rejettent l’idée d’évolution.

Citons ici quelques idées fausses que véhiculent les créationnistes. Ils prétendent que ce sont les plus forts qui gagnent toujours dans la théorie de l’évolution, alors que ce sont les plus adaptés qui survivent. Ils disent que les évolutionnistes affirment que l’homme descend du singe, alors que nous sommes des singes parmi d’autres. Ils soutiennent que la théorie de l’évolution est raciste, alors qu’il n’y pas de hiérarchie entre les espèces animales et qu’elles sont simplement différentes.

Ils assurent que la théorie de l’évolution n’est qu’une hypothèse alors qu’elle est aujourd’hui vérifiée par les faits et les fossiles. Ils déclarent que Darwin était un amateur, alors qu’il était issu d’une famille riche et qu’il n’a jamais eu besoin de recevoir un salaire pour vivre.

La lutte de Darwin contre lui-même et ses propres convictions est un excellent exemple d’une démarche intellectuelle exemplaire. La famille et l’éducation de Darwin, ainsi que son milieu social, aurait dû le conduire à rejeter l’idée d’évolution. Il a toujours donné la priorité aux observations et son honnêteté intellectuelle l’a conduit à l’évidence de l’évolution malgré les douleurs qu’il éprouvait pour s’éloigner de ses croyances et des personnes qui l’entouraient.

Les créationnistes mènent en fait un combat contre la science. Ils la considèrent comme une atteinte à leur morale et à leur mode de vie. Ils la croient dangereuse et incompatible avec leur foi.

Pour lutter contre ce mouvement, faut-il combattre la religion, adversaire du rationalisme car la foi sans preuves est une démarche incompatible avec la science ? Même si cela peut paraître justifié sur le fond, je crains que cette approche ne soit pas très efficace. Tous les adeptes d’une religion ne sont pas fondamentalistes. En fait, cette attitude reviendrait à se laisser entraîner sur le terrain de l’adversaire et à donner raison à ceux qui souhaitent attiser le feu dans cette lutte science contre religion. Au-delà de la religion, cette approche créationniste correspond à un manque de confiance dans la science, à une totale incompréhension du processus de recherche scientifique et à une attirance vers le paranormal. La lutte contre le créationnisme est une lutte contre l’obscurantisme en général, ce qui va bien au-delà de la lutte contre la religion.

En 1987, la Cour Suprême des États-Unis a jugé que seules les théories scientifiques devaient être enseignées dans les établissements publics et que le créationnisme, étant une religion, ne pouvait pas figurer au programme scolaire. Les créationnistes, aidés de quelques universitaires égarés, ont alors essayé de donner des habits scientifiques à leurs croyances en développant ce qu’ils ont appelé la «théorie du dessein intelligent ». Ils prétendent que l’Univers aurait été créé par un être supérieur qui guiderait l’évolution et que la vie humaine est trop complexe pour être le fruit du hasard. Une force intelligente supérieure, extraterrestre ou divine, aurait organisé tout ce qui se déroule dans l’Univers. En fait, cette «théorie » est indémontrable et donc non scientifique. On retrouve la majeure partie des tenants de cette vue de l’esprit dans les milieux protestants fondamentalistes d’Amérique du Nord et chez les fondamentalistes musulmans. Ces mouvements, dangereux pour l’éducation des enfants, font preuve de beaucoup de prosélytisme et bénéficient de financements importants. En 2007, des centaines d’établissements scolaires français ont reçu gratuitement des milliers d’exemplaires d’un ouvrage intitulé L’Atlas de la Création et heureusement interdit par l’Éducation nationale.

Croyances et révisionnistes

Depuis quelques dizaines d’années, des croyances épouvantables sont apparues. Il est honteux de constater que des révisionnistes nient l’existence de l’Holocauste et des camps de concentration et que certains s’en font l’écho. Ces négationnistes, au mépris de toute évidence, nient l’existence de faits historiques acquis. Les tenants des théories du complot imaginent que les hommes n’ont jamais débarqué sur la Lune ou que le gouvernement américain a organisé les attentats du 1 1 septembre. Ces individus révisionnistes sont dangereux et nuisibles. Ils polluent notre société et frappent les esprits les plus simples. Ils doivent être vigoureusement combattus et condamnés en justice. Pour les générations futures, il est important de maintenir la mémoire de l’horreur que fut l’implantation des camps de la mort. C’est le seul moyen d’éviter que cette folie ne se reproduise.

La manière dont ces individus procèdent est toujours la même : ils énumèrent un certain nombre de faits qui semblent conforter leur théorie sans tenir le moindre compte de toutes les informations qui invalident leur doctrine. Chacun de leurs arguments peut être démonté, mais leurs disciples sont peu sensibles à une approche rationnelle. On peut citer ici un exemple. Pour expliquer que les chambres à gaz n’ont jamais existé en Autriche, ils affirment que les portes de ces lieux d’extermination ne fermaient pas hermétiquement, ce qui est exact actuellement pour certaines. Mais, vérification faite, les portes originales sont dans un musée et les portes actuelles ont été rajoutées après la guerre.

Des escrocs prétendent que les photographies des hommes des missions Apollo sur la Lune auraient été prises en studio. Ils développent de vagues arguments sur la dimension des ombres ou bien sur la forme du drapeau et emploient un vocabulaire technique afin d’impressionner un auditeur naïf. Tout spécialiste de traitement des images reconnaît immédiatement la stupidité de leur argumentation. Les médias qui se font l’écho de ces entreprises d’abêtissement portent une lourde responsabilité.

Les scientifiques et les croyances

Le meilleur moyen de lutter contre les croyances est évidemment d’enseigner la science et ses méthodes. Cela veut-il dire que les scientifiques ne seraient pas sensibles aux croyances ? Toute l’histoire des sciences nous montre le contraire. Évidemment, un scientifique peut être remarquable dans son domaine. Mais nous rencontrons parfois des scientifiques très intolérants et perméables aux croyances hors du cercle de leurs compétences. La croyance est une telle facilité intellectuelle que nous pouvons être touchés par paresse avec l’excuse d’avoir été rigoureux dans d’autres domaines.

En fait, tous les scientifiques possèdent un grand nombre de croyances, mais ils ont en principe soumis chacune à un examen sérieux. Il est évidemment hors de question de redécouvrir tous les acquis de la science en une seule vie. On doit faire confiance aux scientifiques de renom qui ont découvert un phénomène. Il n’est pas besoin de franchir le cercle arctique pour savoir que des populations esquimaux existent ou de maîtriser le calcul tensoriel pour accepter la relativité générale. Ces sujets ont reçu suffisamment de confirmations pour ne pas être remis en cause.

Par contre, il est essentiel de garder suffisamment d’esprit critique, de scepticisme et de doute pour renoncer à ce que nous avons cru acquis dès l’annonce d’une observation ou d’une expérience remettant en cause une idée préconçue.

Les croyances en astronomie

Les croyances ne touchent pas que le domaine de la religion. L’astronomie a longtemps été le domaine des croyances. Pendant des siècles, beaucoup ont cru que la Terre était immobile au centre de l’Univers. Au temps de l’Inquisition, Giordano Bruno, qui ne partageait pas cette opinion, est mort sur le bûcher et Galilée a eu la fin de sa vie gâchée pour avoir imaginé que la Terre était en mouvement. De nos jours, certains croient que l’homme est le but de l’Univers. Cette approche anthropique rappelle le Moyen Âge et ceux qui tenaient absolument à mettre l’homme au centre de tout. Le problème de la création du monde peut être facilement pollué par des croyances de différentes natures et la cosmologie n’en est pas à l’abri. L’astrologie, c’est-à-dire l’idée que notre caractère et notre futur dépendraient de la constellation dans laquelle se trouvait le Soleil le jour de notre naissance, attire nombre d’escrocs et est diffusée par des médias peu scrupuleux. Le mythe des soucoupes volantes a lui aussi ses dévots et ses bigots. La croyance que les plantes pousseraient mieux les nuits de pleine Lune fait aussi partie de ces opinions répandues sans la moindre preuve.

Toutes ces croyances qui peuvent paraître ridicules à tout esprit sain sont hélas trop répandues dans notre société. Je propose de les regrouper sous le nom générique de Nigologie. Gustave Le Bon soulignait «qu’on ne discute pas plus avec les croyances qu’avec les cyclones » et Sacha Guitry affirmait que «la raison et la logique ne peuvent rien contre l’entêtement et la sottise ».

Croyances et astrologie

Qu’est-ce que l’astrologie, sinon le fait de croire que la position des astres sur la sphère céleste le jour de notre naissance aurait quelque influence sur notre vie, notre caractère et notre futur. Cette croyance était compréhensible dans les temps reculés où les hommes avaient imaginé un ciel rempli d’êtres surnaturels, mais elle est totalement ridicule de nos jours à une époque où une information scientifique sérieuse est aisément accessible. On peut considérer que la séparation définitive entre l’astrologie et l’astronomie date du début du xve siècle après la découverte des lois de Kepler.

Pourtant nous connaissons tous des personnes qui évoquent leur «signe » ou avouent lire leur horoscope. Il est hors de question de se moquer d’eux et de les traiter d’imbéciles. Toute forme d’agressivité est en général contre-productive. J’en ai fait l’expérience il y a une quarantaine d’années. Invité à participer à plusieurs émissions de radio et de télévision, j’utilisais des termes très violents à l’encontre d’astrologues que je trouvais en face de moi. Je rappelais qu’une loi promulguée sous Charles X punissait cette activité de huit jours d’emprisonnement et d’un mois en cas de récidive. Cela réjouissait mes collègues de l’Observatoire de Paris et les présentateurs de ces émissions fort polémiques, mais n’avait aucun pouvoir de conviction sur le grand public. Face à ces astrologues qui me demandaient mon signe, je leur répondais qu’il était positif ! Mais je rajoutais que je pouvais leur préciser dans quelle constellation se trouvait le Soleil le jour de ma naissance : il s’agit d’Ophiucius qui n’est pas dans le zodiaque des babyloniens en raison de la précession des équinoxes depuis 4000 ans. C’est un signe !

On pourrait dire : «Après tout, cela ne fait de mal à personne et laissons les croire à ces fadaises ». Mais aucun enseignant ne peut faire preuve d’une telle indifférence. De plus, de nos jours, des décisions importantes de nature médicale, professionnelle ou personnelle sont prises à la suite d’avis reçus de la part d’astrologues ou de publications astrologiques. On a découvert qu’à la fin du xxe siècle, l’entourage de certains dictateurs ou des cabinets de recrutement avaient fait appel à des astrologues. Plus généralement, alors que la lutte pour le développement de la culture scientifique est encore bien embryonnaire, l’astrologie concourt à l’obscurantisme et à l’entreprise de décervelage de ceux qui exploitent la crédulité de leurs semblables. Il faut bien distinguer le simple citoyen naïf qui accorde un certain crédit à l’astrologie des escrocs qui en font commerce. Les seconds doivent évidemment être combattus. Je vous propose ci-dessous quelques questions à poser aux premiers et je vous laisse le soin de développer les réponses selon vos goûts et votre pédagogie.

-Si les astrologues sont aussi bons qu’ils le prétendent, pourquoi ne sont-ils pas beaucoup plus riches ? Certains disent qu’ils ne prédisent pas des faits précis, mais des tendances. Mais si leur approche marchait, ils devraient faire fortune à la Bourse en ayant simplement une approche statistique.

-Pourquoi choisir le moment de la naissance et non celui de la conception ? La naissance n’est plus considérée de nos jours comme un moment magique de création de la Vie et nous savons maintenant que la personnalité d’un enfant commence à être forgée bien avant sa naissance.

-Si les ventres des mamans protègent des influences célestes, qu’en est-il de quelques dizaines d’escalopes ? Le ventre maternel étant un fin bouclier de muscles, de chair et de peau, est-il possible d’entourer un bébé à sa naissance d’escalopes ou de steaks si l’horoscope n’est pas favorable et de le libérer quand les signes sont plus favorables.

-Les horoscopes antérieurs à la découverte des planètes externes du système solaire sont-ils incorrects ? Les astrologues prétendent que leurs prédictions sont excellentes depuis des siècles, mais pourquoi ne tiennent-ils pas compte de tous les corps découverts récemment dans le système solaire ?

-L’astrologie est-elle raciste ? Il est à juste titre interdit de juger ou de donner un poste à quelqu’un en fonction de son sexe, de sa couleur de peau ou de son origine. Est-il acceptable d’évaluer quelqu’un sur un hasard de sa naissance, à savoir la position des astres ce jour-là ?

-Pourquoi y a-t-il dans le monde de l’astrologie tellement de chapelles en complet désaccord les unes envers les autres ? Si l’astrologie était une science, ceux qui la pratiquent convergeraient vers un consensus après discussions comme cela se passe dans le monde scientifique. Les systèmes fondés sur des superstitions ou des croyances personnelles ont tendance à diverger quand ils sont pratiqués par des personnes éloignées les unes des autres et en recherche de profit ou de célébrité.

-Est-il vraisemblable que plus de 500 millions de personnes aient chaque jour exactement le même devenir ? Chaque jour, dans des milliers de journaux sur Terre (hélas !), l’horoscope est divisé en 12 paragraphes. Une simple division montre que plus d’un demi-milliard d’êtres humains auraient exactement le même sort.

-Si les influences astrologiques se propagent par l’intermédiaire d’une des forces connues, pourquoi privilégier les planètes ? Qu’il s’agisse de la gravité, des forces de marées, des forces électromagnétiques, des interactions fortes et faibles, etc., toutes les forces connues dépendent de la distance. Par exemple, la sage-femme qui met au monde le bébé exerce une force gravitationnelle 5 à 6 fois supérieure à celle de Mars et une force de marée des milliers de milliards de fois supérieure à celle de Vénus ou de la Lune.

-Si les influences astrologiques se propagent par l’intermédiaire d’une force inconnue, est-elle indépendante de la distance ? L’importance de Mars dans l’horoscope est la même que la planète soit du même côté du Soleil que la Terre ou bien de l’autre côté, c’est-à-dire sept fois plus loin. Cela serait une fantastique révolution de trouver une force indépendante de la distance.

-Si les influences astrologiques se propagent par l’intermédiaire d’une force inconnue indépendante de la distance, pourquoi ne pas tenir compte des étoiles et des galaxies ? Pourquoi se limiter au système solaire alors que des milliards de milliards d’astres ont été découverts depuis l’antique Babylone ?

Si l’astrologie avait la moindre valeur prédictive, cela aurait des conséquences majeures sur toute la physique dont il faudrait profondément revoir les lois. Mais, après tout, il n’est pas nécessaire de savoir comment quelque chose marche si cela marche vraiment ! Il suffit pour cela de faire quelques tests et quelques études statistiques. Si sa date de naissance déterminait vraiment le caractère ou le futur d’un individu, il serait facile de le vérifier. Depuis une cinquantaine d’années, cela a été fait pour des échantillons de milliers de couples mariés et de couples divorcés, d’hommes politiques, de sportifs et de scientifiques. Aucune tendance ne se dégage quant à la répartition des dates de naissance. L’analyse de plusieurs milliers de prédictions d’astrologues montre qu’en général une sur dix se révèle correcte. On obtient d’aussi bons résultats par tirage au sort. En mélangeant les signes d’un horoscope et en comparant la «satisfaction » de lecteurs qui ont eu les phrases correctes à celle des lecteurs qui ont le texte modifié, on ne trouve aucune différence entre les deux groupes.

Croyances et soucoupes volantes

Une des croyances répandue dans le public est l’idée que nous serions régulièrement visités par des extraterrestres utilisant comme moyen de transport ce que l’imagination populaire appelle des «soucoupes volantes ». Le fait de rechercher l’existence de la vie en dehors de la Terre est un sujet parfaitement scientifique et tout à fait d’actualité. Il est même à l’origine de la naissance d’une nouvelle science : l’exobiologie qui attire des milliers de scientifiques de nos jours. La découverte de centaines de planètes extrasolaires autour des étoiles proches nous conduit à penser qu’il existe plus de planètes que d’étoiles dans notre Galaxie, c’est-à-dire plus de 1011 planètes sans parler des milliards d’autres galaxies. Le fait que certaines ont une taille et une masse proches de celles de la Terre et qu’elles sont situées dans une zone habitable, c’est-à-dire ni trop près ni trop loin de leur étoile pour permettre la présence d’eau liquide nous fait penser que nous ne sommes peut-être pas seuls dans l’Univers. Par ailleurs, la découverte de mers souterraines dans les satellites des planètes géantes comme Europe, Callisto, Encelade, Titan ou Triton aura été une grande surprise de l’exploration des confins du système solaire. Ces mers sont composées d’eau légèrement salée, elles renferment en leur sein beaucoup d’énergie, ce qui se manifeste par de puissants geysers en surface ou par d’importants glissements de terrain. Une chimie organique complexe a aussi été mise en évidence avec la présence de nombreux composés du carbone, de méthane et d’hydrocarbures. Ces trois ingrédients de la vie (énergie, eau et chimie organique) sont présents en des endroits inattendus. Plusieurs missions spatiales sont programmées pour explorer plus complètement ces mondes dans les années 2020 et 2030. Depuis une vingtaine d’années, les biologistes ont eu la surprise de découvrir sur Terre des organismes qui survivent dans des conditions extrêmes, au fond des océans, près de sources d’eau chaude mais loin de toute lumière solaire ou bien dans les zones arctiques ou encore dans les déserts les plus arides. L’existence de ces extrêmophiles nous montre que la vie peut s’adapter à de nombreuses conditions de température et d’environnement.

Nous sommes loin des croyances en l’existence de martiens ou de soucoupes volantes qui nous visiteraient régulièrement. Le mythe des martiens a pour origine les observations d’astronomes professionnels de la fin du xxe siècle. Ils ont cru voir des réseaux de canaux à la surface de Mars. Il s’agissait en fait d’une illusion d’optique due à la turbulence de l’atmosphère terrestre, à la qualité des lunettes astronomiques de l’époque et à une mauvaise interprétation de traces rectilignes sur Mars. Cette croyance marqua l’imagination populaire confortée par la publication de nombreux romans de science-fiction. Le fameux Guerre des mondes de Herbert George Wells publié en 1898 a connu en 1938 une adaptation radiophonique par Orson Welles qui a provoqué un mouvement de panique chez les auditeurs à qui il faisait croire à une invasion terrifiante de la Terre par des martiens belliqueux.

En 1877, le directeur de l’Observatoire de Milan, Giovanni V. Schiaparelli observa de grandes traces rectilignes à la surface de Mars. Il désigna chacun de ces alignements par le terme canale , ce qui en italien signifie aussi bien un canal artificiel qu’un sillon naturel. D’autres astronomes aperçurent la même chose, mais certains ont contesté ces observations. En 1892, William Pickering observa des groupes de taches à la jonction des canaux, ce qui évoquait la présence de mers et de lacs. L’observation de changements de couleur et le fait que les canaux semblaient traverser les océans conduisit à les remplacer par des forêts qui changeraient de couleur au gré des saisons. À partir de là, le mythe d’une vie martienne put se développer. Le promoteur principal en fut Percival Lowell, un millionnaire qui a fondé en 1894 avec sa fortune personnelle un observatoire en Arizona.

Il a répertorié jusqu’à 400 canaux dont certains lui semblaient dédoublés. Il était persuadé que Mars abritait une civilisation avancée luttant contre la sécheresse en irriguant les terres jusqu’à l’équa-teur à partir de la fonte des calottes polaires. Il imaginait la présence d’un système de pompes et d’écluses et il pensait que le dédoublement des canaux était une mesure de précaution des martiens pour le cas où un canal se boucherait. Cette thèse de Lowell fut largement relayée par les magazines et les journaux de l’époque et frappa l’opinion publique.

Dès le début, des doutes ont été émis sur l’existence des canaux. Certains astronomes n’ont jamais observé de canaux.

D’autres ont tout de suite pensé à une illusion d’optique : en voulant dessiner des taches, on les joint souvent par des traits. Eugène Antoniadi, initialement convaincu de la présence des canaux, démentit formellement leur existence en 1909 après des observations aux observatoires de Meudon et du Pic du Midi. Dans leur majorité, les astronomes se détournèrent de ce sujet, mais Lowell et son successeur Vesto Slipher continuèrent à croire aux canaux. En 1965, juste avant l’arrivée des sondes spatiales, on trouvait encore en Amérique des cartes martiennes avec des canaux.

Dès le début du xxe siècle, l’absence de vapeur d’eau dans les spectres de la planète rouge et les estimations de température et de pression avaient conduit plusieurs scientifiques à juger que Mars n’était ni habité ni habitable. Mais il fallut attendre l’envoi de sondes spatiales pour le savoir.

Ne nous attardons pas sur ceux qui exploitent la crédulité humaine en racontant des histoires de «soucoupes volantes » ou «d’objets volants non identifiés -les O.V.N.I. ». Leur activité d’escroc a plus de rapports avec la rubrique judiciaire qu’avec l’astronomie. Mettons les choses au point : l’auteur de ces lignes n’a aucun ressentiment contre ceux qui croient aux soucoupes volantes, il éprouverait même de la sympathie pour leur côté rêveur, par contre il ne supporte absolument pas ceux qui en font commerce. Il n’est évidemment pas impossible que la Terre ait été visitée un jour et les astronomes, dont je suis, tiennent le champagne au frais pour accueillir dignement les premiers extraterrestres. Mais les récits rapportés de telles visites n’ont absolument rien à voir avec une intelligence extraterrestre. A chaque fois que les scientifiques se sont penchés sur ces témoignages, ils ont trouvé une explication simple quand le rapport contenait suffisamment d’informations et ils n’ont pas pu conclure quand les faits rapportés étaient vagues, imprécis et incomplets. Tous ceux qui se livrent à des enquêtes judiciaires savent combien un témoignage visuel est fragile ! Ce n’est pas parce que monsieur ou madame Dupont prétend avoir vu un martien qu’il existe ! Ce n’est pas parce que certains racontent avoir vu apparaître la Vierge ou Allah que leur existence est indubitable.

Il est quand même étonnant que les milliers astronomes professionnels, dont le métier est d’observer le ciel jour et nuit dans toutes les longueurs d’onde et dans toutes les directions et qui se sont dotés des instruments les plus sophistiqués, n’aient jamais observé le moindre signal en provenance d’une intelligence extraterrestre. Si on croit certains rapports, tout se passe comme si les extraterrestres ne se montraient qu’à ceux qui n’ont aucune culture scientifique !

Quand on lit des histoires d’OVNI, il est frappant de constater combien ces extraterrestres nous ressemblent et combien les auteurs de ces fadaises manquent d’imagination. Les scientifiques ne leur reprochent pas d’avoir trop d’esprit d’invention, mais d’en manquer singulièrement ! L’idée que des astronautes aient visité la Terre dans le passé pour apprendre aux civilisations anciennes l’essentiel de leurs connaissances est une véritable insulte à l’intelligence et aux réalisations de ces civilisations. Les «preuves » apportées sont des fraudes délibérées et le fait de sous-estimer ces civilisations dites primitives est un acte de racisme. Comme dans le cas de l’astrologie, il est déshonorant d’exploiter ainsi la naïveté du public !

Croyance et scientifiques amateurs

L’astronomie et la biologie sont au cœur de questions fondamentales qui passionnent l’humanité depuis des millénaires sur nos origines, notre place dans l’Univers et notre futur. Le public est friand des résultats récents et aime commenter les notions fondamentales comme celles qui concernent l’espace, le temps, la vie, etc. Cet intérêt est essentiel pour la propagation de la culture scientifique, mais quelques effets pervers se manifestent quand des notions mal assimilées se répandent.

Nous recevons quotidiennement dans nos laboratoires des lettres de scientifiques amateurs qui sont persuadés d’avoir fait une découverte fondamentale, d’avoir compris la nature profonde des lois physiques ou d’avoir montré que les lois de la gravitation ou de l’électromagnétisme ne sont pas correctes. Ces messages, souvent bien naïfs, sont sympathiques en général. Mais certains, persuadés qu’ils ont tout compris, se dressent contre ce qu’ils appellent la science officielle et font preuve d’une incroyable agressivité. Ils recherchent à la fois la caution d’un scientifique professionnel tout en récusant leurs résultats. Ils ne supportent pas la moindre critique. Leurs croyances envahit leur perception de la science. Ne pas leur répondre provoque une violente réaction de leur part en raison de ce qu’ils prennent pour du mépris. Leur dire qu’ils se fourvoient entraîne une brutale réplique. On retrouve un phénomène bien connu : celui qui est habité par une croyance ne peut pas supporter la moindre réserve et le moindre doute sur ses convictions et il réagit souvent avec violence.

Il y a quelques mois, j’ai eu beaucoup de peine à me débarrasser d’un de ces croyants qui prétendait avoir découvert la théorie du Tout, expliquant la physique des particules, l’expansion de l’Univers et l’apparition de la vie. Il a commencé par m’inonder de messages auxquels je n’avais pas le temps de répondre. En espérant retrouver un peu de calme, j’ai eu le tort de lui expliquer gentiment quelles étaient ses erreurs. J’ai immédiatement été violemment attaqué sur Internet pour ne pas avoir reconnu son génie. On pourrait penser qu’on se trouve en face de fous. En fait, les centaines de pages qu’ils rédigent sont un mélange de notions mal assimilées, de calculs complexes et d’erreurs quelquefois bien cachées.

Croyance et anneaux de Saturne

Je ne résiste pas à l’idée de citer une expérience personnelle. J’ai eu la chance d’être éduqué par Évry Schatzman, président de l’Union Rationaliste pendant de nombreuses années et par Michel Hénon, dont j’ai toujours admiré le génie et la puissance de son esprit logique. J’ai été rapidement émerveillé par l’efficacité de l’approche scientifique pour tenter de comprendre le monde, je pensais être à l’abri des croyances. J’ai consacré plusieurs années à essayer de comprendre la dynamique et l’évolution des anneaux de Saturne. Quelques scientifiques illustres comme Galilée, Cassini, Laplace, Maxwell ou encore Poincaré avaient essayé de comprendre ce système d’anneaux sans parvenir à résoudre un certain nombre de problèmes. Dans les années 70, je bénéficiais d’un outil inconnu de mes prédécesseurs, l’ordinateur. J’ai pu mettre au point des simulations numériques et j’ai développé des approches analogues à des expériences de laboratoire. C’est ainsi que j’ai pu expliquer comment les anneaux s’élargissaient sous l’effet des collisions et pourquoi, vus de la Terre, ils étaient homogènes avec des bords très doux. J’ai eu le bonheur de trouver des solutions aux problèmes posés par nos célèbres aînés. Je me suis heurté, à cette occasion, aux résultats obtenus à la même époque par Hannes Alfvén, prix Nobel de physique, qui affirmait que l’effet des collisions conduisait au contraire à un amincissement des anneaux. J’étais persuadé de m’être trompé puisque je ne trouvais pas le même résultat qu’un prix Nobel. Les lecteurs qui arbitrent les publications dans les revues scientifiques, que nous appelons «referees », ont immédiatement donné raison à Hannes Alfvén puisqu’il était prix Nobel. Grâce à mon directeur de thèse, Michel Hénon, j’ai compris que cet argument d’autorité n’était pas recevable et que la croyance qu’un prix Nobel était infaillible n’était pas justifiée. Hannes Alfvén a reconnu qu’il n’avait pas raison et qu’il avait trouvé une solution mathématique qui ne s’appliquait pas au monde réel de la physique. Cette péripétie m’a conduit à croire à mon tour que mon modèle expliquait tout.

Quelques années plus tard, en 1980, j’ai eu la chance d’explorer aux premières loges le monde de Saturne grâce aux sondes Voyager dont j’étais membre de l’équipe d’imagerie et de découvrir

de la Terre en 1984 des anneaux autour de Neptune. Loin d’être homogènes à bord doux comme je le croyais, ces anneaux étaient hétérogènes à bords nets. Ma croyance s’effondrait !

Quant aux anneaux de Neptune, ils contenaient des arcs de matière confinés radialement, mais aussi azimutalement. Malgré les lois de Kepler qui semblaient à mes yeux interdire la présence de telles structures autour des planètes, ces arcs existent bien. J’avais sciemment négligé l’influence de petits satellites de masse négligeable devant celle de la planète Saturne et de ses gros satellites. Mais je n’avais pas tenu compte de phénomènes de résonances qui permettent à un effet petit mais systématique de jouer un rôle majeur et de l’emporter sur des effets de plus grande amplitude mais plus aléatoires.

J’ai compris à cette occasion combien il est tentant de croire et combien il est important de toujours douter.

Croyances et questions d’actualité

Depuis le xxe siècle, les grandes découvertes astronomiques sont toutes venues à l’encontre de croyances bien ancrées. Pendant des millénaires, la croyance d’une Terre au centre de l’Univers était si présente que plusieurs comme Giordano Bruno ont payé de leur vie leur incroyance. Il a fallu attendre 1729 et la découverte de l’aberration des étoiles pour avoir la preuve que la Terre était en mouvement. L’exploration de la planète Mars dans les années 70 a enterré le mythe des martiens.

La découverte des geysers d’Encelade en 2006 nous a montré qu’un corps de petite taille pouvait être le siège d’une intense activité contrairement à ce que croyaient les astronomes auparavant.

L’observation du ciel au-delà de l’atmosphère nous a montré que l’Univers était sans cesse changeant et bouillonnant, loin de l’image d’un ciel calme et serein depuis toujours. Les datations radioactives des météorites nous ont révélé que la Terre et les planètes avaient été formées il y a 4,55 milliards d’années. Au mois de mars 2013, le dépouillement des observations du satellite Planck nous informaient que l’expansion de l’Univers avait commencé il y a 13,82 milliards d’années. Ces âges sont bien éloignés du chiffre de 6 000 ans que les religions ont mis en avant pendant des siècles.

De grandes questions d’actualité comme l’existence de la matière noire et de l’énergie noire, les théories récentes dans le domaine de la cosmologie, la recherche d’une vie extraterrestre ou encore la question du changement climatique soulèvent de telles passions que j’ai le sentiment que les croyances habitent souvent les protagonistes de ces discussions.

Comme tous mes collègues scientifiques, je sais que l’augmentation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a pour conséquence d’augmenter l’effet de serre. Je suis persuadé que le climat de la Terre évolue rapidement. Mais dois-je accepter sans réfléchir tous les scénarios catastrophe qui sont présentés ? Je sais que, parmi ceux qui ne croient pas que le climat puisse se réchauffer, il y a des fondamentalistes qui affirment que leur dieu ne créera pas un second déluge. Je suis conscient que cette attitude est condamnable et dangereuse, mais je ne suis pas prêt à accepter tous les arguments d’écologistes extrémistes. Je sais combien l’étude du climat est un domaine difficile, compte tenu de tous les facteurs qui interviennent simultanément. Je sais que l’action de l’activité solaire d’une part et celle des perturbations gravitationnelles d’autre part est encore mal comprise.

Quelles que soient les affirmations de collègues scientifiques que j’estime, il est important de toujours garder une part de doute au fond de soi-même. Les découvertes qui ont d’importantes implications sociales, économiques et politiques peuvent rapidement se transformer en croyances.

Comment lutter contre les croyances

Le moyen de lutter contre les croyances est le scepticisme. Il faut toujours avoir le souci de vérifier toute affirmation. Il est clair qu’une des qualités que tout scientifique doit posséder est le doute. Si on abolissait les doutes, nous n’aurions que conviction pure, ce qui est la source de l’arrogance pour tout fondamentaliste. Mais on ne saurait tout le temps douter de tout, sous peine d’immobilisme. Henri Poincaré notait avec raison que «douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes qui, l’une comme l’autre, nous dispensent de réfléchir ». On ne saurait évidemment tout vérifier. Même si je ne suis jamais allé dans l’Antarctique ou si je n’ai jamais rencontré Jules César, l’ensemble des voies qui m’ont rapporté leur existence me paraît suffisamment solide pour que je ne remette pas en cause leur réalité.

Pour un profane qui ne maîtrise pas les méthodes scientifiques ou pour un scientifique qui ne connaît pas les disciplines qui ne font pas partie de son domaine, les données de la science sont difficilement vérifiables, qu’il s’agisse de biologie, du rayonnement cosmique, de mécanique quantique ou de paléontologie. Elles doivent être considérées comme vraies si elles ont été validées par la communauté scientifique ou par une partie digne de confiance. Une telle approche n’est pas à l’abri de dérapages. De bonne foi ou dans l’espoir d’un profit matériel, des groupes d’influence peuvent détourner ces données et créer des croyances.

J’ai eu la chance d’avoir été vacciné très jeune contre les croyances grâce à mes parents.

Comme de nombreux enfants, je croyais au Père Noël. Il m’apportait des cadeaux que je m’efforçais de mériter en étant très sage au cours des semaines qui précédaient Noël. Cette croyance était pour moi un vrai bonheur. Un jour, à l’école, l’un de mes camarades m’informe qu’en fait, le père Noël n’existe pas. Comme mes parents n’étaient apparemment pas au courant, je suis rentré à la maison pour leur annoncer cette nouvelle stupéfiante. Ma mère me réponds alors : «Qui crois-tu ? Tes camarades ou ta mère ? » . Mon choix a évidemment été vite fait et je suis retourné le lendemain à l’école plein d’énergie pour défendre, contre le monde entier, l’existence du Père Noël. Je suis retourné le soir à la maison les habits déchirés et couvert de bosses après une belle bataille. Trente ans plus tard, j’ai rappelé cet épisode à ma mère en lui disant qu’elle avait exagéré et profité de ma faiblesse. «Tu as été assez stupide pour me croire ! » me répondit-elle. Cette expérience m’a fait comprendre combien une croyance pouvait apporter un bonheur artificiel et faire plonger dans un état de béatitude. Elle m’a aussi fait connaître la douleur qu’on peut ressentir en découvrant qu’une croyance est fausse et en ayant le sentiment d’avoir été trompé. J’étais vacciné !

Écolier, j’ai fait preuve de beaucoup de scepticisme quand on m’a raconté que Jeanne d’Arc avait entendu des voix. Lycéen, j’ai eu beaucoup de peine à admettre que des forces pouvaient s’exercer à distance sans le moindre contact. Étudiant, je n’ai pas accordé beaucoup de foi à l’idée que l’Univers avait été créé au moment du Big Bang.

Il est possible de s’immuniser en grande partie contre les croyances grâce au scepticisme et à une démarche scientifique, mais comment aider ses semblables et comment faire comprendre à quelqu’un qu’il se fourvoie ? Comment répondre poliment à quelqu’un qui prend au sérieux d’anciennes superstitions ? On peut lui faire remarquer qu’on n’est pas infaillible parce qu’on est sincère. Sacha Guitry disait que «la raison et la logique ne peuvent rien contre l’entêtement et la sottise ». Mon expérience est qu’il est très difficile de mettre en pièces toute croyance. Au mieux, cela permet au croyant d’évoluer, mais le rend souvent très malheureux. Au pire, il est renforcé dans ses convictions et il devient très agressif. Il me semble que faire preuve d’humour et poser quelques questions embarrassantes sur le plan de la logique est l’attitude la plus efficace.

En conclusion, il ne suffit pas d’être un bon scientifique pour échapper au virus de la croyance. Le meilleur moyen d’y résister est de ne jamais tomber dans le dogmatisme ou dans le sentiment de supériorité qu’on peut ressentir quand on croit détenir la vérité. Un excellent médicament est aussi de garder un grand sens de l’humour qui permet de prendre un peu de recul et qui est très efficace pour troubler les croyances d’autrui. On doit toujours se demander, dans ce que nous considérons comme établi, quelle est la part d’un choix réfléchi et quelle est la part d’une croyance.

Finalement il est une variable qui permet de nettement séparer la connaissance de la croyance, c’est le temps. Les croyances évoluent peu. La connaissance évolue sans cesse. De nos jours, plus personne ne croit en l’existence d’Isis, Osiris, Zeus ou Junon sans que cela ne pose le moindre problème. Je suis prêt à parier que, dans quelques siècles ou quelques millénaires, personne n’imaginera que Jésus, Allah ou Bouddha possédaient le moindre pouvoir surnaturel. Par contre, je suis persuadé que le théorème de Pythagore ou le principe d’Archimède sont éternels, mais que de nombreuses connaissances scientifiques d’aujourd’hui auront considérablement évolué. J’espère que le futur consacrera la victoire du doute sur les convictions.

À la lumière des fantastiques progrès de la connaissance depuis quelques siècles, on doit être très optimiste et ma conclusion est : «Non au pessimisme et oui aux rêves ! ».

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